Aller au contenu principal
Caroline Bonaparte et sa fille aînée Laetitia Joséphine

Caroline Bonaparte et sa fille aînée Laetitia Joséphine

Date de création : 1807

H. : 217 cm

L. : 143 cm

huile sur toile

Domaine : Peintures

© RMN - Grand Palais (château de Versailles) / image RMN-GP

lien vers l'image

89-000913-01 / MV 4712

Caroline Murat l’ambitieuse

Date de publication : Octobre 2015

Auteur : Jean HUBAC

Le « tracas » d’un portrait officiel

En 1807, le talent artistique d’Élisabeth Vigée Le Brun est reconnu dans toute l’Europe. Après avoir été la peintre officielle de la reine Marie-Antoinette, la Révolution la contraint à l’émigration, avant un premier retour en France en 1801. Sa notoriété lui attire alors à nouveau des commandes de portraits, dont celui de Caroline Murat.

Maria Annunziata Bonaparte, dite Caroline (1782-1839), épouse du général Joachim Murat depuis 1800, avait obtenu de son frère aîné Napoléon le grand-duché de Berg et de Clèves en 1806. C’est donc une grande-duchesse de vingt-cinq ans que peint Vigée Le Brun en 1807, une princesse impériale qui reçoit brillamment la haute société dans sa résidence de l’Élysée.

Son portrait par Vigée Le Brun est une commande transmise par le directeur du Museum (actuel Musée du Louvre) Vivant Denon au nom de l’empereur, pour orner la galerie de Diane du palais des Tuileries. L’artiste en retira 1 800 francs, somme qu’elle estime dans ses Mémoires « moins de la moitié de ce que je prenais habituellement pour les portraits de même grandeur ». Vigée Le Brun décrit la réalisation de l’œuvre comme une épreuve, tant son modèle cédait à la mode, au point de se présenter dans son atelier vêtu et coiffé différemment à chaque pose. La peintre écrit : « Il me serait impossible de décrire toutes les contrariétés, tous les tourments qu’il me fallut endurer pendant que je faisais ce portrait. » Elle conclut sa description en mentionnant qu’elle avait peint de nombreuses princesses, mais qu’aucune ne l’avait fait attendre, et en précisant : « Le fait est que madame Murat ignorait parfaitement que l’exactitude est la politesse des rois, comme le disait si bien Louis XIV, qui, à la vérité, n’était pas un parvenu » (Souvenirs, chapitre XXXII). Vigée Le Brun n’aura donc pas construit de relation privilégiée avec son modèle, comme elle a pu le faire avec des princesses à la légitimité sans macule à ses yeux, Marie-Antoinette au premier chef. En revanche, son œuvre ne reflète aucunement le « tracas » ressenti pendant sa réalisation. On y retrouve le talent qui aura fait son succès et qui aura donné à l’art du portrait ses lettres de noblesse.

L’art du portrait ou la simulation de la vie

Le tableau est un double portrait en pied. Caroline Bonaparte est placée au centre de la composition, sa fille sur sa droite au même plan, une galerie ouverte sur une terrasse et un jardin à sa gauche (droite pour le spectateur).

L’attitude de l’enfant semble peinte sur le vif, tant le regard admiratif levé sur sa mère et les lèvres entrouvertes annoncent une parole imminente, que retient le geste discret mais autoritaire exercé par la mère sur l’épaule de sa fille. La peintre rend ainsi vivant un portrait qui sans cela n’eut pu être qu’un banal portrait d’apparat. L’introduction de la fille aînée de Caroline, Laetitia Joséphine, alors âgée de cinq ans, est pour Vigée Le Brun un élément d’équilibre « dans la composition du tableau ». Grâce à elle, le portrait s’anime et la partie gauche de la toile se remplit – et s’éclaircit de la robe blanche de l’enfant –, répondant ainsi à l’occupation de la partie droite par la traîne de la robe et par l’ouverture sur la nature. La sœur de Napoléon fixe le spectateur et le fait participer à l’intimité de sa vie familiale. Sa riche parure (diadème avec camées – cédant en cela aux goûts de l’empire –, collier de deux rangées de perles, boucles d’oreilles en pendentifs) rehausse le travail délicat de la robe, or sur fond blanc, tandis qu’une traîne rouge achève d’inscrire Maria Annunziata dans les codes chromatiques de l’empire napoléonien.

Le portrait en pied s’ouvre sur une terrasse et un jardin baigné d’une lumière crépusculaire à l’arrière-fond droit ; il se détache dans un intérieur palatial à la décoration épurée et sans ornement, la colonne cannelée en bas-relief renvoyant à l’attribut symbolique classique du pouvoir tout en accentuant la verticalité de l’œuvre.

La femme derrière le portrait : une Bonaparte ambitieuse

Sous les atours du pouvoir, sous les marqueurs de la maternité, c’est une jeune femme capricieuse et ambitieuse qui s’affirme. Le portrait qu’en dresse Vigée Le Brun dans ses Souvenirs en atteste, mais aussi sa volonté intrigante de participer aux gloires impériales en acquérant titres et terres. Son attachement à la mode est bien visible sous le pinceau de Vigée Le Brun, qui peint avec délicatesse et précision la riche texture des étoffes et des motifs. En 1808, l’année suivant la réalisation de cette toile, le couple Murat accède à la couronne royale de Naples, concrétisant ainsi son rêve de souveraineté. En Italie, Caroline profite des absences de son mari, sollicité par l’état de guerre permanent, pour exercer le pouvoir. Elle se distingue par de somptueuses fêtes et se mêle de politique économique, non sans succès. Ses relations avec l’empereur se tendent au fur et à mesure des années, au point de prévoir une alliance avec l’Autriche contre la France. L’empire napoléonien emporte néanmoins le royaume de Naples dans sa chute en 1815, et Caroline, devenue veuve après l’exécution de son mari, trouve refuge en Autriche, avant de finir ses jours à Florence en 1839. Quant à l’enfant du portrait, Laetitia, elle épouse le marquis Guido Taddeo Pepoli et meurt en 1859.

Il est remarquable et piquant qu’un des portraits les plus connus et les plus flatteurs de Caroline Bonaparte, sinon le plus renommé, ait été réalisé par une artiste qui n’avait pas craint d’écrire d’elle un portrait à charge dans ses Souvenirs et de la peindre comme une mère plutôt que comme la femme émancipée qu’elle souhaitait être.

Ce portrait n’inaugure pas une série et reste la seule commande à l’artiste issue de la cour impériale, sans pouvoir démêler ce qui relève de l’attachement de Vigée Le Brun aux Bourbons, de sa déception face à une princesse « parvenue », ou de l’insatisfaction des Bonaparte. Pourtant, on décèle l’influence de cette peinture dans des œuvres d’autres artistes, comme dans le double portrait d’Hortense, reine de Hollande, et de son fils peint en 1807 par François Gérard – qui portraiture à son tour Caroline Murat et ses enfants en 1808 – ou dans celui que réalise l’année suivante Jean-Baptiste Wicar de Marie-Julie Bonaparte et de ses filles.

BAILLIO Joseph, SALMON Xavier (dir.), Élisabeth Louise Vigée Le Brun, cat. exp. (Paris, New York, Ottawa, 2015-2016), Paris, Réunion des musées nationaux – Grand Palais, 2015.

BAUDUS Florence de, Caroline Bonaparte : sœur d’empereur, reine de Naples, Paris, Perrin, 2014.

HAROCHE-BOUZINAC Geneviève, Louise Élisabeth Vigée Le Brun : histoire d’un regard, Paris, Flammarion, coll. « Grandes biographies », 2011.

VIGÉE LE BRUN Élisabeth, Souvenirs (1755-1842), texte établi, présenté et annoté par HAROCHE-BOUZINAC Geneviève, Paris, Honoré Champion, coll. « Champion classiques : littératures » (no 30), 2015.

Jean HUBAC, « Caroline Murat l’ambitieuse », Histoire par l'image [en ligne], consulté le 28/03/2024. URL : histoire-image.org/etudes/caroline-murat-ambitieuse

Anonyme (non vérifié)

Etonné d'apprendre que Mme VIGEE LEBRUN ait peint un membre de la famille impériale!
pour moi, le nom de ce grand peintre est associé à la Reine Marie-Antoinette

lun 19/10/2015 - 17:28 Permalien

Ajouter un commentaire

HTML restreint

  • Balises HTML autorisées : <a href hreflang> <em> <strong> <cite> <blockquote cite> <code> <ul type> <ol start type> <li> <dl> <dt> <dd> <h2 id> <h3 id> <h4 id> <h5 id> <h6 id>
  • Les lignes et les paragraphes vont à la ligne automatiquement.
  • Les adresses de pages web et les adresses courriel se transforment en liens automatiquement.
CAPTCHA
Cette question sert à vérifier si vous êtes un visiteur humain ou non afin d'éviter les soumissions de pourriel (spam) automatisées.

Mentions d’information prioritaires RGPD

Vos données sont sont destinées à la RmnGP, qui en est le responsable de traitement. Elles sont recueillies pour traiter votre demande. Les données obligatoires vous sont signalées sur le formulaire par astérisque. L’accès aux données est strictement limité aux collaborateurs de la RmnGP en charge du traitement de votre demande. Conformément au Règlement européen n°2016/679/UE du 27 avril 2016 sur la protection des données personnelles et à la loi « informatique et libertés » du 6 janvier 1978 modifiée, vous bénéficiez d’un droit d’accès, de rectification, d’effacement, de portabilité et de limitation du traitement des donnés vous concernant ainsi que du droit de communiquer des directives sur le sort de vos données après votre mort. Vous avez également la possibilité de vous opposer au traitement des données vous concernant. Vous pouvez, exercer vos droits en contactant notre Délégué à la protection des données (DPO) au moyen de notre formulaire en ligne ( https://www.grandpalais.fr/fr/form/rgpd) ou par e-mail à l’adresse suivante : dpo@rmngp.fr. Pour en savoir plus, nous vous invitons à consulter notre politique de protection des données disponible ici en copiant et en collant ce lien : https://www.grandpalais.fr/fr/politique-de-protection-des-donnees-caractere-personnel

Partager sur

Découvrez nos études

Henri de Rochefort

Henri de Rochefort

Portrait d’un rebelle

Lorsqu’il pose en 1884 pour Rodin, Henri Rochefort (1831-1913), aristocrate converti au socialisme, est célèbre pour son…

Portraits d'Alexandre Dumas

Portraits d'Alexandre Dumas

Une prolixité de légende

Monstre sacré de la littérature, Alexandre Dumas est probablement, avec Victor Hugo, l’écrivain le plus populaire du XIX…

Portraits d'Alexandre Dumas
Portraits d'Alexandre Dumas
Portraits d'Alexandre Dumas
La musique romantique en France

La musique romantique en France

Face à l’expansion de la bourgeoisie et au culte de l’enrichissement personnel, les artistes développèrent à l’époque romantique une sorte de…

La musique romantique en France
La musique romantique en France
Portrait mythologique de la famille de Louis XIV

Portrait mythologique de la famille de Louis XIV

Un ambitieux portrait mythologique

On ignore qui commande cette grande toile au peintre Jean Nocret, mais des témoins contemporains expliquent qu…

Isaac Pereire, créateur de la banque moderne

Isaac Pereire, créateur de la banque moderne

Un des créateurs de la banque moderne

Homme d’affaires parmi les plus actifs du Second Empire, Isaac Péreire s’associa toute sa vie à son frère…

Isaac Pereire, créateur de la banque moderne
Isaac Pereire, créateur de la banque moderne
Madame Roland et l'engagement politique des femmes sous la Révolution

Madame Roland et l'engagement politique des femmes sous la Révolution

Les salons féminins au XVIIIe siècle

Nés au XVIIe siècle, les salons particuliers tenus par des femmes se multiplient au siècle…

La Grande Mademoiselle

La Grande Mademoiselle

Un portrait allégorique

Les portraits d’Anne-Marie-Louise d’Orléans, duchesse de Montpensier, dite la Grande Mademoiselle, sont nombreux et les…

Portrait d'une femme noire

Portrait d'une femme noire

A la veille de la Révolution, Marie-Guilhelmine Leroux-Delaville (1768-1826) fait partie d’une petite élite de jeunes femmes peintres qui…

Portrait d'une femme noire
Portrait d'une femme noire
Portrait d'une femme noire
L'exposition “ Rodin ” au pavillon de l'Alma (1900)

L'exposition “ Rodin ” au pavillon de l'Alma (1900)

En marge de l’Exposition

En 1900, Rodin organisa sa première grande rétrospective personnelle à Paris, place de l’Alma, en marge de l’Exposition…

Le Fauvisme, un phénomène européen ?

Le Fauvisme, un phénomène européen ?

L’Europe avant la Grande Guerre

Si les années 1900 sont, a posteriori, qualifiées de « Belle époque » en France, il n’en est pas de même dans le…

Le Fauvisme, un phénomène européen ?
Le Fauvisme, un phénomène européen ?
Le Fauvisme, un phénomène européen ?