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Sar Amadou, Wolof classe 1900, du Septième régiment à Ballersdorf (Haut-Rhin)

Sar Amadou, Wolof classe 1900, du Septième régiment à Ballersdorf (Haut-Rhin)

Groupe de militaires sénégalais pendant l'heure de repos à Saint-Ulrich (Haut-Rhin)

Groupe de militaires sénégalais pendant l'heure de repos à Saint-Ulrich (Haut-Rhin)

Quatre militaires sénégalais à Saint-Ulrich (Haut-Rhin)

Quatre militaires sénégalais à Saint-Ulrich (Haut-Rhin)

Sar Amadou, Wolof classe 1900, du Septième régiment à Ballersdorf (Haut-Rhin)

Sar Amadou, Wolof classe 1900, du Septième régiment à Ballersdorf (Haut-Rhin)

Date de création : 22 juin 1917

Date représentée : 22 juin 1917

Autochrome

Domaine : Photographies

© Ministère de la Culture / Médiathèque du Patrimoine, Dist. RMN - Grand Palais / Paul Castelnau

http://www.photo.rmn.fr

07-532453 / CA000533

Les troupes coloniales au service de la patrie

Date de publication : Avril 2009

Auteur : Alexandre SUMPF

La « plus grande France » dans la guerre totale

Si la Grande Guerre a été mondiale, les combats n’ont pas eu la même intensité sur tous les continents. En Afrique par exemple, pourtant colonisée aux neuf dixièmes par les puissances européennes, la guerre a peu fait rage. En revanche, par souci de remplacer les trop nombreux disparus au champ d’honneur et dans l’objectif de créer un nouveau vecteur de l’identité nationale parmi la population indigène, les nations combattantes n’hésitent pas à puiser dans leur vivier colonial. Pour le compte de la France, des unités prélevées plus ou moins de force dans toutes les colonies ont participé d’une manière ou d’une autre à l’effort de guerre. C’est en particulier le cas d’environ 160 000 soldats recrutés en Afrique du Nord et 134 000 en Afrique noire – dont les fameux tirailleurs sénégalais reconnaissables à leur chéchia rouge, empruntée d’ailleurs aux tirailleurs algériens.

Scènes de repos pour une unité comme les autres

Au niveau le plus intimiste, Castelnau tire le portrait en buste de Sar Amadou, un Wolof (ethnie du Sénégal) âgé de trente-sept ans, puisque issu de la classe 1900. Le cadre rural d’une cour de ferme du Haut-Rhin, quoique flou, contraste avec la guerre signifiée par l’uniforme, d’autant plus imposant dans l’image qu’il a les poches gonflées des nombreux objets indispensables que le combattant emporte partout avec lui. Sa couleur bleu horizon montre que toutes les unités coloniales ne disposent pas encore de l’uniforme kaki spécifique pourtant proposé dès 1915.

En revanche, l’unité vue au repos dans son cantonnement de Saint-Ulrich (à quelques kilomètres de Belfort) porte l’uniforme réglementaire au col orné de l’ancre, qui rappelle l’appartenance des troupes coloniales à la Marine. Le fond est plus bucolique encore, la verdure et le ciel font ressortir l’incongru amas de kaki. Les chéchias rouges ou bleues distinguent ces Français coloniaux de leurs alliés américains récemment entrés en guerre, d’allure fort ressemblante car équipés par l’armée française. Cette distribution du repas par la « roulante » a été saisie sans pose, comme l’indique le flou plus ou moins accentué de ceux qui ont bougé au moment de la prise de vue.

À mi-chemin entre ce plan général d’une scène de la vie quotidienne et le gros plan sur un soldat, le portrait de groupe de cinq tirailleurs nous fait pénétrer au cœur d’une escouade. Assis sur une caisse ou à même la terre, debout contre un mur, ils font face à l’objectif l’air grave, sans sourire. Le cliché permet de détailler précisément leur équipement et leur quotidien : casque ou chéchia ; pelle, fusil ou pistolet mitrailleur ; gourde et musettes ; gamelles ; chemise de toile et bretelles ; godillots cloutés et bandes molletières. Participant à la même guerre que les autres, ces Sénégalais ne s’en différencient que par la couleur de la peau, qui ressort ici très nettement sur le fond crayeux.

Une « force noire » bien peu sauvage

Contrairement à un cliché en noir et blanc, qui fait ressortir le ton de la peau noire sans pouvoir en saisir ni les nuances ni le grain, le procédé autochrome donne à voir la maturité de Sar Amadou. Barbu alors qu’aucun autre tirailleur ne l’est, il semble moins grave ou désœuvré qu’intrinsèquement inquiet. Son regard, à la fois perdu dans un hors-champ invisible et profondément concentré, en dit long sur ce que ce soldat a vécu et sur ce qu’il redoute de subir. On est donc bien loin ici des deux stéréotypes associés aux tirailleurs : celui de la bravoure insensée et celui de la sauvagerie incontrôlable.

Dans un tout autre registre, la scène de distribution du repas participe aussi d’une certaine banalisation de l’expérience de guerre des troupes coloniales. La discipline règne ici avec plus ou moins de bonheur. Les mains dans les poches, un vague regard lancé au photographe, ces soldats au repos profitent de ce coin de campagne (à nouveau) française sans aucunement vouloir reprendre le travail interrompu des champs. Seules les larges gamelles emplies de riz blanc, base de l’alimentation en Afrique noire, témoignent de l’originalité de leur présence en Europe.

La photo de la (probable) escouade est en tout cas celle d’un groupe qui semble bien se connaître, que cette proximité soit due à une origine commune (même village) ou au partage du danger. La frontalité du cliché accentue l’intensité des regards et fait ressortir les détails comme autant de révélateurs d’une certaine professionnalisation de la guerre. Un incongru bâton sur la tête et le poing orné de bagues, soutenant le menton du soldat au centre, indiquent la jeunesse de ces troupes et instaurent vis-à-vis de leur propre image une distance qui révèle le déracinement dont ils sont victimes. L’accueil de ces troupes jusqu’alors cantonnées à l’outre-mer ne s’est pas déroulé sans heurts. La population civile les suspectait de marauder, les soldats du rang d’être des assassins. L’état-major les considérait plus encore que les autres soldats comme de la chair à canon et les a très volontiers envoyés en première ligne des assauts les plus dangereux. Longtemps, l’armée ne leur a pas reconnu les mêmes mérites sous le feu – autant de contrastes avec ces clichés de propagande réalisés par Castelnau.

 

Chantal ANTIER, Les soldats des colonies dans la Première Guerre mondiale, Rennes, Editions Ouest France, 2008.

Jean-Jacques BECKER, La Première Guerre mondiale, Paris, Belin, 2008 (rééd.).

Antoine CHAMPEAUX et Eric DEROO, La Force noire : gloire et infortunes d’une légende coloniale, Paris, Tallandier, 2005.

Eugène-Jean DUVAL, L’épopée des tirailleurs sénégalais, Paris, L’Harmattan, 2005.

Pierre VALLAUD, 14-18, la Première Guerre mondiale, tomes I et II, Paris, Fayard, 2004.

Alexandre SUMPF, « Les troupes coloniales au service de la patrie », Histoire par l'image [en ligne], consulté le 16/05/2024. URL : histoire-image.org/etudes/troupes-coloniales-service-patrie

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